J’ai bien compris l’exercice demandé initialement et ai conscience de m’être peut-être un peu dérobée à son énoncé…
Ce n’est pas en tant qu’artiste que je me suis engagée, un jour, envers une cause ou une philosophie. Ce n’est ni même en tant qu’être humain que je me suis un jour subitement levé contre telle idée ou pour tel idéal. C’est à ma naissance que je me suis retrouvée propulsée dans cet engagement à vie, envers la vie. Je suis en vie, je suis en forme, je suis en chair et je suis en os, je suis en espoir et enpouvoir, puisque mes gestes m’appartiennent et que des conséquences en découlent.
Je suis en devoir. Je peux, donc je dois, m’indigner, je peux donc je dois m’investir, je peux donc je dois tenter de penser, panser ce monde qui m’entoure et me nourrit afin de lui rendre la plus exquise des silhouettes et le plus savoureux des goûts. Je peux, donc je dois.
La responsabilité m’est automatiquement administrée de par mon existence, et mes privilèges. (Privilèges dont je suis d’ailleurs à jamais l’indignée et l’indigne bénéficiaire.)
Et il n’est guère à mon sens de plus absolu blasphème, de plus grand affront, de plus vulgaire injure, de plus violent outrage, de plus absurde offense et de plus terrible erreur que d’ignorer la valeur de l’Être.
Qu’il soit solide, liquide ou gazeux, qu’il ait des pieds, des ailes, des pattes ou des racines, qu’il soit perçu comme un individu ou comme un ensemble de particules, qu’il soit gouttes, vagues ou soleils, l’Être est au-delà de la création du Tout Puissant : il est sa manifestation première. L’existence est par essence, divine.
L’espèce humaine est la seule espèce sur laquelle reposerait l‘entière responsabilité de son évolution ou de sa disparition. Elle est la seule actuellement dont l’existence non seulement ne sert pas son environnement mais le détruit carrément : voici à mes yeux la démonstration parfaite de son aliénation. Comment Dieu (ou la Vie) pourrait-il orchestrer son propre suicide ? Tout cela en s’égosillant à chanter sa propre gloire…
On m’a souvent, plus jeune, rabâché les mots “idéaliste”, “utopique”, ou encore “naïf”, qui sonnent encore parfois comme des insultes. Mais qui n’est pas idéaliste ? Qui n’est pas à la poursuite d’un idéal ? Qui ne fonctionne pas à l’espoir ? Citez-moi une personne au monde, un seul individu sain d’esprit qui n’espère pas, qui ne souhaite rien, qui jamais n’a projeté. Celui-là qui n’est pas idéaliste est soit fou, soit mort.
Cependant, il me semble vrai que le fatalisme, comme un mirage, semble nous manipuler et l’air de rien, nous condamner. « Ah oui, c’est triste, mais c’est comme ça.”, dit-on. Oui c’est triste, mais non, ce n’est pas comme ça. Ce n’est pas une fatalité si le monsieur n’a pas de toit, rien ne relève de la fatalité ou de l’immuable si les femmes n’ont pas droit au même traitement que les hommes, si les banques pillent, si les bombes s’écrasent, si le racisme sévit. Cela ne relève pas de la fatalité si les personnages politiques, corrompus jusqu’au sang, nous mentent pour servir le règne de l’argent, cela ne relève pas de la fatalité si l’industriel pollue et nous tue un à un, si c’est un enfant qui a conçu tes vêtements, pour l’équivalent de rien. Ça, n’est pas une fatalité. Le changement est possible. L’écologie ou l’Humanisme ne devraient pas être perçus comme des mouvements alternatifs, ou des courants de pensées, quand il s’agit en fait des uniques options que l’on ait à ce jour pour une évolution durable. Ou pour survivre, simplement.
“On ne peut pas changer le monde” dit-on… Mais le monde change tous lesjours ! C’est à nous, qui participons à chaque seconde à ce même changement, d’orienter notre pouvoir pour enfin orienter le changement avec conscience. Être est un enjeu politique. Puisqu’il ne reste de nos existences que leurs conséquences. Puisque de par celles-ci, nous sommes tous immortels. Il n’est pas un geste sans incidence, la neutralité alors n’existe pas, la neutralité c’est la mort, le zéro, le rien, le néant, l’absolu chaos… Puisque toute existence a une conséquence, alors tout humain serait un activiste qui s’ignore… Nous sommes des actionnaires qui nous ignorons. Chaque geste, chaque parole, chaque choix est un investissement dans un système qui devient alors le nôtre. Et à mon sens, celui-ci, le capitalisme dans lequel nous nous noyons, n’est simplement pas viable. Il s’agit à mes yeux de la plus fabuleuse des arnaques que notre espèce n’ait jamais connues. Mais il me semble également indéniable que si nous sommes 7 milliards, alors il est 7 milliards de vérités. Et que je ne suis personne, au même titre que vous, au même titre que toi, pour affirmer une raison, ou un tort.
La bonne nouvelle, c’est qu’il est à mon cœur des départs, des commencements, qu’il est des essarts, des lancements, des décollages, des envols, qu’il est des naissances, des prémices et des avortements, qu’il est des débuts et qu’il est même des continuités, qu’il est bien des chemins, bien des voies, bien des exils, mais qu’il n’est jamais de retours, jamais d’arrivée. Tout n’est que prélude.
MARCIA HIGELIN
Site officiel : https://marciahigelin.bandcamp.com